Rivalités entre les Ordres et le clergé séculier.

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Quand les ordres mendiants vinrent à Mulhouse, la population leur était très favorable, car le clergé séculier scandalisait les habitant par leur faste et leur orgueil. Les prêtres se préoccupaient de l’administration de leurs prébendes, et de l’augmentation de leurs revenus. Les obligations imposées par leur rôle de clerc à l’égard de leurs ouailles n’étaient que très secondaires. Le curé en titre (rector) ne remplissait pas ses fonctions paroissiales confiées à un vicaire perpétuel (plebanus vicarius) qu’il payait chichement et qui, souvent, sont ignares et de mœurs douteuses, et se limitant au strict nécessaire. C’était la même situation pour les autres prébendiers !

La vie fruste et austère des Franciscains, Augustins et Dominicains (surtout au début), leur ferveur religieuse, leur pauvreté volontaire et leurs hautes qualité morales attira le peuple qui se sentait proche d’eux et très loin du clergé séculier.

L’accueil des ordres mendiants par les clercs séculiers, de très réservé au début, devint rapidement hostile au fur et à mesure que les fidèles  affluaient dans les églises conventuelles, réduisant d’autant et de jour en jour le revenu casuel.

Le clergé séculier, devant le danger financier, fit bloc contre les intrus, impliquant les autorités communales et leur hiérarchie, et fit enfin tout pour reconquérir la faveur de leurs ouailles, en multipliant  les prédications, les fondations d’autels, les processions, les indulgences productrices de nouveaux revenus et, grâce à ceux-ci, en achetant des objets du culte plus précieux et des vêtements liturgiques plus riches. Les bâtiments bénéficièrent d’agrandissements et d’embellissements, avec de précieux vitraux et surtout de nouvelles cloches puissantes destinées à couvrir les grêles petites cloches des campaniles et clochetons des églises conventuelles. Une véritable opération marketing pour récupérer les parts de marché perdues !

Oui, mais….les ordres mendiants firent la même chose tout en conservant leur supériorité morale et intellectuelle et, grâce à leur cohésion, habileté et l’attrait de leur façon d’être et d’agir, conservaient leur avantage.

Ce conflit dégénéra en Alsace au milieu du XIIIe siècle et se renouvela avec plus ou moins d’intensité pendant deux siècles.

A Mulhouse, on peut faire remonter l’origine du conflit à la période d’excommunication de la ville. Pour mémoire, en 1261, les bourgeois de Mulhouse, maltraités par le prévôt, se sont révoltés contre leur seigneur, l’évêque de Strasbourg et livrèrent la ville à leur allié le comte Rodolphe de Habsbourg. Après un siège de 12 semaines, ils prirent le château fort que l’évêque venait juste de terminer de construire. L’évêque de Strasbourg, bien décidé à rétablir sa domination, s’allia avec celui de Bâle dont dépendait Mulhouse sur le plan spirituel. Ce dernier prononça l’excommunication des membres du conseil et finalement mis la ville en interdit en 1265. Une procédure canonique  qui dura jusqu’en 1270 confirma l’excommunication et l’interdit.

Décidant d’utiliser la force, les armées des deux prélats tentèrent de reprendre la ville en 1271, mais sans succès. La levée de l’interdit a probablement eu lieu en 1273, après l’avènement du roi Rodolphe Ier.

Pendant toute cette période pendant laquelle les habitants étaient privés des sacrements et le culte ne pouvant plus se tenir à l’église paroissiale, les ordres mendiants, relevant du Pape et non des évêques, se substituèrent au clergé séculier, permettant ainsi aux habitants de continuer a bénéficier des services et sacrements. Ceci explique le début de la grande popularité des ordres mendiants auprès des Mulhousiens.

Cette lutte continuelle est parfaitement illustrée par un document du 24 mars 1305 de l’évêque de Bâle concernant la décision du prévôt de la ville, du conseil et des bourgeois d’obliger tous les habitants de la ville à léguer, à leur mort et pour le repos de leur âme, leur meilleur habit à la fabrique de l’église paroissiale., ce que contestait vigoureusement certains religieux déclarant cette décision inique et contraire au droit, donc nulle. L’évêque, statuant à la demande du procureur de la fabrique de l’église paroissiale, déclara que les religieux et tous ceux qui s’insurgent contre cette décision, recherchent leur intérêt et non celui de la ville et qu’en conséquence, ladite ordonnance du prévôt était juste et irrévocablement établie. Il semble bien que l’objectif du prévôt et du conseil était double : 1) procurer un complément de ressources à l’église paroissiale et à son clergé et 2) contrecarrer l’hégémonie croissante des ordres qui eux-mêmes abusaient.

En pratique, c’était vrai ! Il était notoire que tous les religieux faisaient tout pour accaparer les biens des moribonds, en allant jusqu’à la captation d’héritage pour enrichir leurs couvents, au détriment des familles et du clergé paroissial. Le litige avec la paroisse concernait surtout l’administration des sacrements, d’entendre en confesse, d’absoudre et surtout, la violation de leur privilège de sépulture, ce qui réduisant considérablement les revenus de la paroisse. Le Saint Siège trancha en faveur des moines à condition qu’un quart (en Alsace) dite portion canonique soir « ristourné » à l’église paroissiale.

Le conflit éclata quand les ordres refusèrent de continuer à appliquer cette règle. Au cours d’un synode tenu à Bâle le Ier Juin 1299, l’évêque fixa avec le clergé diocésain des statuts précis réglant principalement que  les enterrements ne pouvaient se faire que dans l’église ou au cimetière de la paroisse, qu’un fidèle devait avoir l’autorisation de son curé pour choisir son confesseur dans une autre paroisse ou ordre, et enfin, que les chapelles et églises conventuelles ne pouvaient pas célébrer la messe le dimanche et jours fériés, aux mêmes heures que les églises paroissiales.

Le 18 février 1300, la bulle du pape Boniface VIII « super cathedram » confirma ces points pour l’ensemble de la chrétienté.

Vers 1314, les autorités de la ville de Mulhouse firent don de terrain à l’autel de Notre Dame. La même année, le Magistrat obtint une lettre d’indulgence en faveur de celle-ci de la part du pape  Clément V alors résidant à Carpentras. Par cette lettre, chacun des douze évêques de diocèses éloignés, accordait 40 jours d’indulgence à tous les fidèles  repentants après confession, sous condition de visiter l’église  St Etienne mentionnée comme lieu de pèlerinage, à certaines fêtes précisées. Des dons au curé ou a des chapelains de l’église, la présence à la grand’messe du dimanche, fêtes etc. bénéficiaient aussi des indulgences.

Il est clair que cette mesure était destinée à favoriser la paroisse St Etienne au détriment des ordres. Une nouvelle lettre d’indulgence de 1335, similaire à la première pour l’autel du Saint Esprit et pour la chapelle du même nom située hors les murs ainsi que pour l’église St Etienne, accordait encore 4O jours. Ces indulgences ont été doublées par l’évêque de Bâle. S’ajoute, pour bénéficier de ces nouvelles indulgences : les dons par testament ou autre à l’église et à l’autel, en or, argent, livres, vêtements, calices etc, l’assistance aux messes  et prédications matinales, et ceux qui prient pour les trépassés en faisant le tour des cimetières.

L’église St Etienne était alors plus en mesure d’attirer de nombreux fidèles, au détriment des couvents, surtout après avoir fait de St Etienne un lieu de pèlerinage actif. Il en résultat un grand effort architectural  et de décoration de l’église. Vers 1350 l’église fut ornée de magnifiques verrières, derrière l’autel également embelli, dont la majorité subsiste aujourd’hui.

Une bulle du pape Jean XXII du 18 avril 1317, reprise sans modifications un siècle plus tard le 22 novembre 1426, adressée les deux fois à l’évêque de Bâle, indique que le prieur général et les frères de l’ordre des ermites de St Augustin lui ont exposé que des prélats, recteurs, clercs et autres personnes agissant contre les ordres et directives du Saint Siège, leur conteste le droit de prêcher librement, d’entendre à confesse et d’user de privilèges accordés par le Souverain Pontife et qu’ils les molestent  et les oppriment. Jean XXII ordonne à l’évêque de Bâle de prendre la défense des Augustins de son diocèse, de ne plus tolérer qu’on agisse à leur égard à l’encontre des privilèges accordés et de poursuivre et punir les contradicteurs et persécuteurs par la censure ecclésiastique. Dans le cas où il ne lui serait pas possible de sévir de sa propre autorité, il devra l’en informer directement.

L’évêque de Bâle, peu empressé, finit par réagir le 8 octobre 1318 (soit 18 mois après la bulle du pape) en adressant un mandement aux doyens, plébains, recteurs et vicaires de la ville et du diocèse précisant qu’étant désigné par le Pape comme défenseur  et conservateur des privilèges accordés aux Augustins, il accepte, entre autres choses, que les frères choisis en nombre restreint par leurs supérieurs comme étant particulièrement aptes à la prédication et à la confession puissent exercer leur mission dans tous le diocèse, incluant les églises et chapelles paroissiales. Nul ne devra empêcher ces frères de lire des messes ou de demander l’aumône sous peine de sanction. Ces avantages étaient étendus aux frères de passage. Enfin, tous les frères pouvaient accorder jusqu’à 40 jours d’indulgence au nom de l’évêque de Bâle.

L’évêque de Strasbourg en 1319 et celui de Constance en 1318, prirent les mêmes mesures en faveur des Augustins.

Le droit de prêcher et entendre à confesse dans les églises paroissiales fut considéré par le clergé comme intolérable. En pratique, la position des deux partis en présence n’a pas dû beaucoup évoluer !

Les Franciscains passèrent à leur tout à l’offensive. Ils eurent des démêlés  retentissants avec le clergé de l’église paroissiale vers 1320. Une sentence arbitrale fut adressée le 27 mai 1324 au gardien et vice gardien et frères du couvent de Mulhouse par les soins d’Henri, ministre de la province d’Allemagne supérieure des Franciscains dont l’Alsace formait une custodie. Elle stipule en douze points que les Franciscains :

1 - Verseront à l’église paroissiale le quart de tous les legs qui ont été faits ou remis au couvent, en tant que communauté, par le testateur, au cours d’une maladie, à la suite de laquelle celui-ci aurait décédé.

2 – Verseront à l’église paroissiale le quart de tout ce qu’il toucheront à l’occasion des funérailles du fait que le défunt a été enterré chez eux, que ce soit la cire, des draps, des oblations, des chevaux, des armes ou tout autre objet leur revenant à ce titre.

3 – N’auront pas à payer le quart des denrées alimentaires qu’ils toucheront à l’occasion de funérailles, si ces denrées peuvent être consommées en une journée. De même, ils ne paieront rien de sommes  que le défunt leur aura attribué a titre de pitance. Si leur valeur dépasse 30 sous, ils paieront le quart de la différence.

Suivent encore sept articles de la même veine, pour d’autres cas précis.

Le onzième précise que les présentes stipulations resteront en vigueur jusqu’à leur modification par le St Siège. Les arbitres ordonnent qu’elles soient observées sous peine du délit de désobéissance.

Le mandement se termine par une exhortation  aux frères du couvent de Mulhouse de se conformer strictement aux dispositions de cet accord, afin qu’aucune plainte ne puisse être formulée contre eux par ceux qui y sont intéressés.

Il semble que cet accord n’ai pas réellement été respecté et montre qu’entre les ordres mendiants et le clergé paroissial, la motivation première était devenue de « faire de l’argent » !

Ce n’est qu’à la fin du Moyen Âge que ces guerres d’influence et d’argent prirent fin, le 15 juillet 1536, grâce au Concile de Trente qui régla définitivement le problème.  

Il faut se rappeler que les Franciscains, par le truchement de l’ordre des Clarisses, affilié aux tiers ordres de St François, sont à l’origine de la création de nombreux conventicules et béguines. Dans la première moitié du XIVe siècle, les Franciscains se servaient des Clarisses de Mulhouse  (en fait des Urbanistes non soumises au vœu de pauvreté) pour accepter des dons et legs, s’engageant par le même acte à transférer tout ou partie aux Franciscains.

Des deux ordres chevaliers établis à Mulhouse (Johannites et Teutoniques) seuls les Teutoniques jouèrent un rôle déterminant  dans ces luttes, en obtenant en 1349 le droit de collation de l’église paroissiale !

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